Détail du mois de février : homard, citron et querelles religieuses…

Le détail du mois de février est extrait d’une Nature morte de homard, œuvre de Johannes Hannot, né à Leyde en 1633 et mort dans la même ville en 1684. Spécialiste des natures mortes de fruits, il incorpore souvent un homard chatoyant dans ses compositions, mais nous avons peu d’éléments sur sa vie, excepté qu’il fut admis à la guilde de Saint-Luc de Leyde en 1650.
Si le homard est très présent dans la peinture nordique, il prend un sens bien différent, en fonction qu’il soit représenté par un peintre protestant ou catholique, car l’Europe est alors déchirée par les querelles religieuses. Le homard, rouge après sa cuisson, apporte de la chaleur à la composition et rappelle la couleur des princes de l’église que sont les cardinaux. Il est également vu comme un symbole de résurrection du Christ, car les homards perdent leur enveloppe au printemps pour prendre une nouvelle carapace. Chez les protestants, la démarche à reculons du homard symbolise l’inconstance et l’instabilité, les peintres évoquent par ce biais la déviance morale des catholiques.
Ce tableau est pétri de référence symbolique bien au-delà de l’auguste homard qui y trône : le citron, dont la peau s’entortille, rappelle la vie qui se déroule et la montre, placée entre les pinces du homard, nous rappelle que notre temps est compté…

A partir du 16 février, vous pourrez découvrir ce tableau en compagnie d’une œuvre de Gabriel Martinet, artiste qui présentera son travail nourris par l’observation des tableaux de la Collection dans l’exposition Confrontation/Inspirations, jusqu’au 30 mai !

Détail du mois de janvier : peintre-décorateur, âne déguisé et paganisme…

Le détail du mois de janvier provient d’une toile récemment restaurée et intitulée la Marche des animaux et peinte par Michiel Carrée (1657 – 1727), peintre hollandais, élève de Nicolas Berchem. Il réalise sa carrière principalement comme décorateur en réalisant des fresques et des plafonds, mais il était également connu pour sa peinture de chevalet et excellait dans les représentations d’animaux.

Typique de son style, mêlant différentes espèces au sein du même cortège, on peut voir sur notre détail un âne monté par une jeune femme, et bizarrement harnaché de tissus colorés. Le peintre fait sans doute ici référence à la Fête de l’Âne, invention paraliturgique qui visait à célébrer l’âne qui a porté Marie durant la fuite en Egypte et qui fut très populaire durant le Moyen-Age. Elle était fêtée le 15 janvier à la cathédrale de Beauvais par exemple. On introduisait l’animal magnifiquement caparaçonné dans l’église pour le bénir. Renvoyant aux cultes profanes adorant des animaux, cette fête plus folklorique que canonial est bannie progressivement de la liturgie mais perdure jusqu’au XVIIe siècle.

Vous pouvez découvrir le tableau complet au musée au sein du nouvel accrochage mis en place ce mois-ci !

Détail du mois de décembre : cuivre, nimbe et évasion de prison…

Le détail du mois de décembre provient d’une curieuse petite huile sur cuivre qui a la particularité d’être peinte sur les deux faces ! Le détail choisi vient de la face représentant la délivrance de saint Pierre, copiée d’après la gravure de Michel Dorigny en 1638 qui s’inspire lui-même d’un tableau de Simon Vouet, aujourd’hui disparu mais que nous connaissons par un dessin préparatoire.

Ce tableau représente l’épisode décrit dans les actes des Apôtres où Pierre, arrêté par le roi Hérode, réussit à s’enfuir de sa prison guidée par un ange qui fait tomber ses chaines et ouvre les portes devant lui alors que tous les gardes sont miraculeusement endormis.

L’ange n’est pas sans rappeler les représentations nombreuses que l’on trouve au moment des fêtes de Noël. Personnage positif, il est à la fois le symbole de l’intervention divine et du dénouement d’une situation compliquée. Sa représentation ici est relativement archétypale : muni d’un visage aux traits doux, il est blond, androgyne et ailé. Il est également entouré d’un nimbe flamboyant, qui se diffuse en rayons autour de lui : le nimbe est une représentation artistique visant à matérialiser la lumière de nature spirituelle qui émane des êtres liés au divin. De sa représentation découle l’auréole que l’on retrouve au-dessus de la tête des saints.

Ce tableau est inédit dans nos réserves mais son état de conversation ne permet pas de le présenter pour le moment. D’autres tableaux vous attendent au musée, en particulier ceux d’Instants suspendus, visibles jusqu’au 15 décembre 2021 ! Dépêchez-vous !

Détail du mois de novembre : faux Sénèque, stoïcisme et repentir…

Le détail du mois de novembre provient de la vanité Mors Omnia Vincit, soit la Mort triomphe de tout, de Mathias Withoos (Amersfoort, 1627 – Hoorn, 1703), peintre hollandais spécialiste des représentations de sous-bois.

Le détail vous présente la pièce maîtresse de sa composition, un buste placé sur un autel. Ce buste pose aujourd’hui problème car, s’il était considéré comme une représentation crédible de Sénèque au temps de Mathias Withoos, nous savons aujourd’hui qu’il ne s’agit pas du célèbre philosophe stoïcien. Le peintre s’est basé sur des reproduction d’une statue visible à Rome dans la collection Farnèse, pour illustrer l’importance de la pensée stoïcienne pour les intellectuels et les artistes : cette philosophie fut remise au goût du jour par Lipsius (ou Juste Lipse, Overijse, 1547 – Louvain, 1606) et actualisée pour être compatible avec le dogme chrétien. Les préceptes stoïciens incitent à se détacher de la matérialité des choses pour se consacrer à sa vie spirituelle et être libéré des passions : ce détachement permet selon Sénèque d’accéder à un état de félicité car on ne craint plus la mort, celle-ci étant inévitable.
Ce buste cache un autre secret : on peut percevoir dans le drapé sous le visage un changement de couleur trahissant un repentir, c’est-à-dire un endroit où le peintre a repeint car il a voulu changer sa composition. Ce repentir a fait l’objet d’une campagne infrarouge qui a révélé qu’une tout autre chose se trouvait en lieu et place du buste de Sénèque…

Pour découvrir cet objet mystérieux, il faudra suivre la conférence du 6 novembre à l’espace Drouot de La Fère : le guide du musée évoquera les surprises qu’a réservé le tableau et en explicitera le sens. Dépêchez-vous également d’aller voir ou revoir le tableau au musée car il sera ensuite absent pour l’exposition Ander licht op Withoos au museum Flehite d’Amersfoort, ville natale du peintre, du 12 décembre 2021 au 8 mai 2022.

Une restauration en vue…

Les restauratrices de tableaux Angélique Bigolet et Juliette Mertens sont passées au musée pour examiner un de nos triptyques, intitulé l’Adoration des mages de l’atelier de Pieter Cocke van Aelst (1502 à Alost – 1550 à Bruxelles).

Ce tableau présente des désordres et des fissures qui ont besoin  d’être traités et les deux restauratrices sont venues l’observer pour proposer des solutions en vue d’une restauration l’année prochaine.

Angélique Bigolet a procédé à des essais sur le tableau pour connaitre la nature des vernis et des repeints.

Une fissure évolutive dans le panneau droit va nécessiter un traitement du support, préconisé par Juliette Mertens, spécialiste des tableaux sur bois.

Affaire à suivre pour ce primitif flamand…

 

Détail du mois d’octobre : luxe, coquilles et mollusque préhistorique…

Le détail du mois d’octobre est un élément original et un peu à part présenté à l’occasion de l’exposition Instants Suspendus. Il s’agit d’une huître préhistorique !

La Gryphaea (gryphée en français) est un genre éteint de mollusques, ancêtre de l’huître, ayant vécu principalement du Trias supérieur au Jurassique, à l’époque des dinosaures. Il existe de nombreuses sous-espèces mais elle est généralement recouverte de stries de croissance bien visibles qui permettent de l’identifier dans les bancs de pierre calcaire. Les paléontologues retrouvent régulièrement d’ailleurs des accumulations massives de coquilles d’ostréidés très épaisses.

L’étude des huîtres fossiles montre que ces mollusques ont joué un rôle écologique important, contribuant notamment au cycle du carbone. Avant l’élevage des huîtres, leurs récifs ont dominé les estuaires du monde entier, alimentant les économies côtières et les civilisations depuis les hommes préhistoriques, comme en attestent les amas coquilliers retrouvés sur les littoraux. Ce sont également des sentinelles écologiques qui alertent sur la sédimentation, la pollution marine et l’érosion du littoral.

Les Grecs et les Romains furent très friands de l’huître plate, l’espèce indigène européenne. L’importation à Rome des huîtres des côtes européennes aussi bien atlantiques que méditerranéennes, a laissé de nombreux témoins archéologiques, montrant un important réseaux de négociants et de transporteurs. Cette tradition perdure pendant le Moyen-Age. On ramasse ainsi les huîtres pour les écailler et les mettre en baril. Vers la fin du XVIIe siècle apparaît chez les nobles la mode de manger les huîtres « tout en vie », mais cela restera un privilège de la partie la plus riche de la population, fait qui a assis sa réputation d’aliment de luxe.

Pour découvrir d’autres éléments sur l’histoire de la cuisine, nous vous invitons à venir au musée les 30 octobre et 13 novembre prochains pour « Le musée passe à table », des après-midis consacrées à l’Histoire de la Cuisine animées par Fabian Müllers, historien de l’Alimentation !

Détail du mois de septembre : fruits, insectes et ex-taulard…

Le détail du mois de septembre vous invite à vous arrêter sur de petites choses pas forcément perceptibles au premier coup d’œil avec une nature morte de fruits, œuvre d’Ernst Stuven (vers 1657–1712). Né à Hambourg, Stuven s’installe à Amsterdam à dix-huit ans, où il fréquente plusieurs ateliers. Se dirigeant vers la peinture de fleurs, il rejoint l’atelier d’Abraham Mignon (1640-1679), grand spécialiste des natures mortes. Il est surtout célèbre pour avoir été emprisonné dans une maison de correction d’Amsterdam à cause de relations abusives avec un de ses apprentis, Willem Grasdorp. Après avoir déménagé à Rotterdam, il a trouvé un mécène qui le finança jusqu’à sa mort en 1712.

Notre détail représente des insectes attirés par de succulents fruits, ici une grappe de raisin noir et des pêches. Au XVIIe siècle, les raisins noirs étaient principalement importés depuis l’Espagne et le climat imposait de cultiver les pêches sous serres, ces deux fruits étaient donc luxueux, sinon rares. Les raisins montrent les premiers signes de décomposition et sont déjà la cible des insectes, évoquant le concept de la fugacité de la vie, au centre de la vanité.

Le carabe des bois et les fourmis qui courent sur les pêches sont représentés avec une grande minutie et témoigne du souci de naturalisme du peintre. Le plus souvent liés à l’idée de souillure les insectes ont une charge symbolique plutôt négative, ils symbolisent le mal qui peut s’immiscer partout.

Vous pouvez découvrir ce tableau et plusieurs autres dans l’exposition Instants Suspendus, regards sur la nature morte, et aller à la rencontre des insectes présents sur les toiles au Musée des papillons de Saint-Quentin. N’oubliez pas non plus la conférence sur la notion d’hospitalité qui sera présentée à la fin du mois par Alain Tapié à l’Espace Drouot de La Fère !

Détail du mois d’août : Vierge, faussaire et couronne…

Ne vous fiez pas à l’aspect vaguement médiéval du détail du mois d’août car il s’agit vraisemblablement de l’œuvre d’un faussaire allemand du XIXe siècle ! On parle alors de « faux » car il s’agit de faire passer ce tableau pour une œuvre ancienne et originale, et non pas un peintre imitateur cherchant à copier le style.
Il représente l’Adoration des Mages dans un style proche du Gothique international, une phase tardive de l’art gothique au XVe siècle, qui laissera peu à peu sa place au style Renaissance.

Le faussaire ici reprend les codes de ce style, notamment dans l’exaltation de la figure féminine, inspirée de l’esthétique courtoise. La Vierge y est représentée avec un grand front typique des critères aristocratiques de beauté médiévaux. Elle est également représentée avec une couronne, pour renvoyer à la tradition de la Vierge Marie, couronnée aux Cieux. Le thème est présent à partir du Moyen-Âge, mais ne fait pas l’objet d’un dogme reconnu par l’Église. Cette couronne, symbole de puissance, évoque à la fois le fait que Marie est choisie par Dieu et son lignage royal, car elle est une descendante du roi David. Cet accessoire implique que la Vierge, mère de Dieu, sans être elle-même divine, est placée par Dieu au-dessus de toutes les créatures, anges, démons et hommes.

Si la thématique de la Vierge vous intéresse, la Compagnie Hymnalaya vous propose deux lectures théâtrales de « Gaby, ou le pardon de Marie » au musée les 11 et 15 août à 15h30. Attention c’est uniquement sur réservation !

Un dauphin antique…

A l’occasion de la Journées mondiale du Dauphin, le musée met à l’honneur une des très belles pièces qui fut découvertes lors des fouilles de Versigny dans l’Aisne. Cette fibule zoomorphe à motif de dauphin, en bronze et fer recouvert d’argent date du IIIe siècle. Son exécution montre une stylisation bien éloignée des représentations romaines classiques. Si on peut rapprocher sa silhouette sinueuse d’exemples du Haut Empire, la fibule de Versigny est néanmoins dans son trait très influencée par une certaine barbarisation des pratiques cultuelles romaines. Souvent figuré en dehors de tout contexte aquatique, le dauphin est associé à la protection des foyers.

Fibule zoomorphe à motif de dauphin, en bronze recouvert d’argent du IIIe siècle, fouilles de Versigny, Inv. 2006.0.13.27